Un dimanche idéal
Le matin : La messe
L'après midi : Le Musée
Le soir : Le Bordel

Matin : La messe

copyright : Photos Catherine DARGERE



Scène 1


28 Mai 1898 - L'avocat Secondo Pia réalise la première photographie du Saint-Suaire, à Turin. Le lendemain, il développe des photos dans le laboratoire qu'il a aménagé dans sa villa. Dans le bain du révélateur apparaît progressivement l'image de la tête christique du Suaire. D'autres photos sont en train de sécher sur des claies : des femmes nues, ou habillées, seules ou en compagnie d’hommes, dans des poses érotiques.

Saint-Suaire : première peinture, entre présence et absence, entre plein et creux, entre réel, imaginaire et symbolique, entre réalité et artifice, entre preuve historique et supercherie.

Sainte Véronique : de vera icona - véritable image. Aurait essuyé le visage du Christ sur le chemin de Croix sur un linge qui en aurait gardé l’image. Patronne des photographes (de même que des lingères !).

Jacques Henric définit la photographie comme "la fixation d’une image par l’action de la lumière sur une surface sensible" et le baptême comme "la création d'une image (un homme lavé du péché originel) par l'action d'une lumière (l'Esprit-Saint) sur un sujet ".
En hébreu, image (au sens d'homme créé à l'image de Dieu) se dit tsélém, mot qui renvoie au photographe - tsalam, et à la racine commune -tsel- ombre.

Dans "La peinture et le mal", il parle du Saint-Suaire comme de la première peinture, quelque part entre présence et absence, entre plein et creux, entre réel, imaginaire et symbolique. N'est-ce pas là aussi une manière de parler de la photographie, qui d’ailleurs est ce qui a permis de fonder la valeur du Saint-Suaire, en révélant l'image du corps (supposé) du Christ.


Scène 2

Un homme assis regarde la télévision, sans le son. C’est un écrivain.

Annonciation : révélation, par la voix, de la venue de l'Incarnation (une Parole faite Image). La peinture, c'est faire voir ce qui s'entend.

Epiphanie : révélation de l'image au monde (adoration des rois mages), perception claire, plurielle, brève, euphorique du mouvement du monde (Joyce).
Le carnaval commence à l'Epiphanie (6 janvier).

Pentecôte : descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres qui se trouvent envahis par la Grâce et possèdent alors le don des langues (contraire de la dispersion babelienne) => Le Greco

Thomas : celui qui ne croit pas, qui veut toucher l’image pour croire enfin à la réalité.

L’église dans les prés


On arrive par une route qui sillonne une campagne verdoyante, vallonnée, où les prés se juxtaposent harmonieusement jusqu'à la limite des épais bois de résineux. Le soleil a atteint son zénith dans un ciel d'azur serein, lorsque nous pénétrons dans l'église blanche et rose, dont les murs semblent avoir été repeint la veille - impression courante en Bavière, les églises sont pimpantes, comme si elles voulaient annoncer par la fraîcheur de leurs couleurs l'éblouissement qu'elles abritent.
Après avoir franchi les quelques mètres sous la tribune de l’orgue, nous voilà dans l’immense nef ovale, baignée d'une intense lumière, alliage de la blancheur de ses murs et du ruissellement de ses ors.
Le regard se dirige vers la voûte, et c'est comme une chute à l’envers qui se produit. Un tournoiement qui nous emmène vers l'infini des cieux - ambre, azur et rose - auxquels on accède par une gigantesque porte dressée dans l'azur, encadrée par quatre colonnes de marbre rose, et peuplés d'anges et de saints aux vêtements somptueux - rouge carmin, vert pâle, or et azur - qui entourent un Christ en gloire trônant sur un arc-en-ciel. D'un choeur invisible jaillissent les premières notes d’une louange de gloire. L'impétueuse musique d'un Gloria fait vibrer les innombrables sculptures, qui s'animent et se joignent au mouvement. Les voix des soprano s'élancent de concert et se tressent en une guirlande de notes cristallines, se mêlant aux rameaux de palmiers, s'enroulant en invisibles pampres autour des colonnes.
Les anges s'envolent dans une houle puissante, les putti forment une farandole de liesse, soulevant des volutes de poussière d'argent, les saints et les prophètes tressaillent, le marbre s'étire, se cambre, se tord, s'arrache de son socle, s'envole dans un frémissement doré, emportés par le souffle divin.
Deux putti soutiennent les rideaux turquoise et or de la chaire qui semblent toujours sur le point de retomber. Sur un côté de cette tour baroque soutenue par un ange éfféminé, symphonie de courbes et contre-courbes, de marbre rose à peine visible sous la profusion d'or, un autre angelot s'affaire autour d'une petite ruche d'où s'échappent des abeilles d’or.
L'entrée du choeur est encadrée par trois colonnes de marbre gris-bleu évoquant les mouvements de l'eau dans un bras de mer sablonneux. Nous sommes transposés dans une grotte merveilleuse où le tourbillon houleux qui nous emporte vers le ciel est l'écho du flux de la mer et du fracas des vagues sur cette grotte, qui, au passage, dépose écume et coquillages qui se pétrifient alors.
Dans sa blanche splendeur, toute l'église se transforme en une pulvérulence de joie. Les chairs des acteurs de cette pièce de théâtre, toujours recommencée, se dissolvent dans une vertigineuse ascension dorée.