Un dimanche idéal
Le matin : La messe
L'après midi : Le Musée
Le soir : Le Bordel

Soir : Le Bordel

« L'image s’apprend dans le bordel » (Genet)

« Les femmes veulent voir ce qu’elles pensent que les hommes veulent voir »
(John Hawkes)


Question : comment figurer sexuellement un corps de femme ? Autrement dit : comment faire une image ?
Il s’agit de déjouer le piège de la pornographie stéréotypée en la contre-investissant par la surenchère baroque, la dérision boufonne, l’utilisation de codes totalement étrangers à cet univers.

Tout voir, sans voile aucun. La photographie pornographique ne laisse pas de place à un autre sens que celui, immédiat, de la scène représentée. Elle impose au spectateur un sens saturé et inévitable, dans un mouvement d’une circularité sans fin. La pléthore de ces images de l’intime uniformise et radicalise les images, transformant le plaisir sexuel en jouissance d’images.

Question : toute photographie suscite-t-elle l'exhibitionnisme du sujet photographié ?

« Pierre Klossowski, dans son essai “le bain de Diane”, suggère qu’Actéon, d’avoir vu la vulve de Diane et d’en avoir été ébloui, aveuglé, est devenu le premier iconoclaste de notre histoire occidentale...Ne pas être pris pour le gogo à qui on raconte que de voir le sexe de nos dianes et de nos méduses fait perdre la vision...Surmonter l’éblouissement, retrouver le clair-obscur, ne pas perdre la vision...voilà quel type d’entrainement constitue l’action pornoscopique préliminaire à l’acte créateur... » (Jacques Henric)

INSTALLATIONS


“Portraits” : visages regardant une image de leur corps. Dispositif de mise en abyme : incruster dans l’image celle du film vue par la femme, ou encore confronter la fixité photographique du portrait à l’image animée du film, qui pourrait être déformée empêchant ainsi le spectateur de satisfaire son voyeurisme et montrant aussi que le désir passe par l’oreille (importance de la bande son). Autre dispositif possible : simplement accompagner l’exposition des portraits d’une bande-son piratée d’un film porno (musique porno-beat, paroles, râles, mugissements, souffles).

Portraits de femmes regardant une video porno.


« Natures mortes » : photographies de compositions mêlant scènes de la vie quotidienne et éléments obscènes (par exemple, photo d’une fellation sur un plateau de petit déjeuner) ou bien juxtaposition de codes « nobles » (tableau dans un musée) et de scènes pornographiques.

Rhyparographie - représentation d’objets vils.



Les mémoires d'un chroniqueur de foutre



J'arpente, lubrique, les rayons aux milliers de cassettes video. L'air de ne pas y toucher ou le regard scotché aux jaquettes quadri, évitant soigneusement de se regarder mutuellement.
Par instants, le micro gonflé style fête foraine m'invite à faire un choix. Est-il encore possible de faire un choix dans cette profusion de titres ? L’ultra-spécialisation des fantasmes me guide. Gros seins, Amateurs, Black, Asiatic, Trans, Homos, Teenage ou “Femmes mûres” sont les grandes baronnies du porno-business. Vient ensuite le type de film : baise à la chaîne ou scénario élaboré. Grosse production américaine ou qualité à l’allemande. Il en est du porno-business comme des voitures.

J'entre. L’odeur de javel fraîche masque l'âcreté du foutre répandu par les précédents occupants de la cabine. Je m'asseois après m'être assuré que le fauteuil est vierge de tout crachat blanc et visqueux. Je prépare les pièces de dix francs. J'introduis la première, le compte à rebours commence.
En face de moi, deux écrans. Celui du haut est divisé en quatre parties. Quatre fenêtres qui permettent au voyeur de zapper plus vite sur un programme plus excitant. En bas, le film que je sélectionne parmi les 128 existants, par avance ou retour dans la liste numérique.
Je commence par faire une première exploration de la bande porno. Les 128 programmes (d'autres sex-shows en proposent jusqu’à 364) sont comme les stations d’une même bande radio, plus ou moins spécialisées, la qualité de la réception est variable. Je repère ainsi les quelques programmes qui vont constituer ma séance. C’est assez rapide, j'ai l'habitude. Les programmes sont regroupés par genre. Je passe sans m’arrêter sur les films "gays" ou "sm". Quelques secondes sur les transsexuels me confirment dans l’idée que les réalisateurs ont quelques difficultés à engager des créatures réellement troublantes. La plupart du temps, les acteurs sont froids, tristes.
Je ne m’arrête pas plus sur les videos de mauvaise qualité - couleurs brouillées, définition très moyenne, image floue, ce qui en élimine beaucoup. Au final, ma sélection porte sur deux ou trois films, pas plus. Tout en opérant cette première sélection, je déboutonne ma braguette et entreprend une lente masturbation.

Ensuite, la subtilité de l’exercice va consister à passer de l’un à l’autre en fonction de la progression des scènes et de leur effet sur mon excitation.
Autour de moi, dans les cabines voisines toutes occupées, j'entends les bandes-sons qui émettent, indifférentes les unes aux autres, une composition chaotique de gémissements, de râles, de paroles obscènes, de claquements des chairs et des instruments de leur soumission, mêlée à une improbable musique d’ambiance. J’essaie de deviner quelles sont celles qui sont post-synchronisées. Difficile à dire.

Ici, je ne maîtrise pas le temps du film. Et le temps octroyé diminue inexorablement, les pièces de 10 francs se succèdent. Dans l’attente du moment-clé, dans ce désir effréné de jouissance, je me prends à pester contre d’inutiles tergiversations et dialogues de transitions pour donner un semblant de cohérence au scénario déjà très basique. Et je zappe à toute berzingue jusqu’au canal 37 où le dénouement approche. Le dénouement, c’est à dire l’éjaculation.


Ma queue est raide. Je sais déjà quel sera l’enchaînement des sentiments et des opérations une fois que j’aurai répandu mon foutre sur le carrelage immaculé, sur l’écran video tout aussi sûrement.
Je m’essuie rapidement avec un kleenex (gracieusement fourni). Le temps est presque écoulé. Je ne regarde même plus le film. Je me rebraguette et fais disparaître du mieux que je peux les traces de mon forfait. Même si je sais que tout sera nettoyé, éliminé par l’employé en combinaison blanche qui attend, appuyé sur son balai qu’une cabine se libère pour procéder au nettoyage. Une habituelle réaction de dégoût achève le tout. Je pars sans me retourner.
Parfois, le programme est tellement frustrant que je décide de changer de lieu, emmenant mon sexe et mon argent à quelques mètres de là.